À l’usage, on constate maintenant que les protections officielles du patrimoine ne sont plus parfaitement adéquates. En effet, l’État, de plus en plus démissionnaire face à ses obligations, ne se porte plus garant de la conservation du patrimoine. Le patrimoine, c’est l’affaire de tous. Mais souvent, la bonne volonté de groupes ou d’individus ne peut suffire. Une vision stratégique des gestes à poser et une connaissance des lois et des mécanismes de protection demeurent des atouts essentiels pour la sauvegarde d’un bâtiment ou d’un site d’intérêt. Voici donc, esquissé brièvement, l’essentiel de ce qu’il faut savoir à propos des outils officiels de conservation du patrimoine au Québec et à Montréal. Mais le confort que procure l’énumération de ces outils officiels laisse place à une certaine inquiétude lorsqu’on observe leur application dans la réalité.
En matière de patrimoine, le gouvernement fédéral ne peut contraindre la propriété privée. Le ministère du Patrimoine canadien s’occupe principalement de la commémoration des lieux et des bâtiments significatifs pour l’histoire du pays. Il prend avis des lieux à commémorer de la Commission des lieux et monuments historiques du Canada (CLMHC), instaurée en 1919, où siègent des experts provenant des dix provinces et des trois territoires. L’Ontario et le Québec comptent deux représentants chacun.
La commémoration des lieux et bâtiments, canaux et sites naturels (les parcs nationaux) est signifiée par une plaque de bronze. La commémoration n’assure toutefois pas une protection légale d’un bien contre l’abandon ou la démolition.
Seul à pouvoir contrôler la propriété des grandes compagnies ferroviaires, le fédéral a adopté la Loi sur la protection des gares ferroviaires patrimoniales. Depuis 1990, cette loi protège les gares désignées par la CLMHC comme patrimoniales des modifications, démolitions, abandons et changements de propriété sans autorisation. Seules des gares appartenant toujours à des compagnies ferroviaires ont été désignées comme patrimoniales.
Le gouvernement fédéral est un propriétaire foncier important de biens et de lieux patrimoniaux. Parcs Canada, créé en 1911, à l’origine pour l’établissement de parcs naturels, est l’organisme qui gère les lieux historiques nationaux de propriété fédérale qui sont accessibles au public, tels que le Lieu historique national du Commerce-de-la-Fourrure-à-Lachine ou le Lieu historique national de Sir-Georges-Étienne-Cartier dans le Vieux-Montréal. Le développement, la mise en valeur et la gestion du canal de Lachine relève aussi de Parcs Canada. Le Bureau d’examen des édifices fédéraux du patrimoine (BEÉFP) qui relève aussi du ministère du Patrimoine canadien est un organisme consultatif qui évalue la valeur patrimoniale des édifices fédéraux et veille à la mise en œuvre de la politique fédérale des édifices du patrimoine (1982) en collaboration avec les ministères. Sauf les biens des sociétés de la Couronne (les bureaux de poste, par exemple), les immeubles de bureaux, manèges militaires, pénitenciers, postes de douanes, phares et autres types de bâtiments âgés de plus de quarante ans, font l’objet d’un examen.
Finalement, le gouvernement fédéral et son ministère du Patrimoine canadien entretiennent des liens officiels avec le mouvement international de la conservation du patrimoine culturel et naturel. Ils participent notamment à l’UNESCO (l’organisation des Nations Unies qui s’occupe d’éducation, de science et de culture) et à la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial datant de 1972.
On s’en doute, la constitution canadienne, issue du 19e siècle, ne fait pas grand cas de la culture et de la protection du patrimoine. Il est de tradition d’affirmer que la culture est de compétence provinciale. Au Québec, c’est depuis 1922 que le gouvernement provincial s’occupe officiellement de patrimoine. Adoptée en 1972, la Loi sur les biens culturels a donné au gouvernement les moyens de protéger ce patrimoine, notamment le pouvoir d’intervenir sur des biens de propriété privée.
En 2012, une révision significative de cette loi entre en vigueur. La Loi sur le patrimoine culturel (LPC) remplace désormais la Loi sur les biens culturels de 1972. Parmi les changements importants apportés à la loi, on peut noter une notion élargie du patrimoine afin de comprendre les paysages culturels patrimoniaux, le patrimoine immatériel ainsi que les personnages, les événements et les lieux historiques. Les pouvoirs des municipalités sont accrus, car elles jouent un rôle de plus en plus important dans la protection et la mise en valeur du patrimoine. Voir ici.
La Loi sur le patrimoine culturel (LPC), prévoit plusieurs statuts de protection agissant à divers degrés sur des bâtiments ou des ensembles. Vous pouvez le consulter sur le site du ministère de la Culture et des Communications. La Loi définit différentes catégories de biens patrimoniaux, entre autres :
Parmi les modalités de fonctionnement de cette loi, quelques aspects retiennent l’attention.
Un citoyen, un propriétaire, un organisme ou une municipalité peuvent présenter un dossier de classement ou de désignation en acheminant une demande écrite au ministre de la Culture et des Communications à Québec (voir Guide de correspondance).
Après l’émission de l’avis d’intention de classement, l’évaluation du dossier est assurée par le ministère par l’entremise de son bureau régional respectif.
Le ministre peut demander l’avis du Conseil du patrimoine culturel, qui remplace maintenant la Commission des biens culturels. À cette fin, le Conseil peut entendre la population lors d’auditions publiques. Le ministre dispose d’une année suivant l’avis d’intention de classement pour prendre une décision.
Le classement d’un immeuble ou d’un site patrimonial oblige le propriétaire à assurer sa préservation (LPC, article 26). Il donne au ministre divers pouvoirs pour surveiller les actes et les travaux envisagés sur ces immeubles. Depuis 2012, la Loi requiert l’établissement d’un plan de conservation en vue de la préservation, de la réhabilitation et de la mise en valeur de cet immeuble ou de ce site (LPC, article 37).
Au Québec, les pouvoirs des municipalités en matière de patrimoine relèvent principalement de deux outils distincts : la Loi sur le patrimoine culturel et la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme.
Depuis 1985, en vertu de la Loi sur les biens culturels, devenue la Loi sur le patrimoine culturel en 2012, les municipalités ont elles aussi été dotées de pouvoirs spécifiques pour gérer le patrimoine situé sur leur territoire. Les municipalités peuvent effectuer la citation d’un immeuble patrimonial (monument historique, avant la LPC) ou constituer un site patrimonial (site du patrimoine, avant la LPC). La première citation municipale dans la région de Montréal fut l’église de Saint-Laurent, citée monument historique en 1986, et le premier site du patrimoine dans la ville fut celui du Mont-Royal en 1987. (En 2005 le gouvernement du Québec a décrété le mont Royal arrondissement historique et naturel. À l’entrée en vigueur de la LPC en 2012, cet arrondissement est devenu un site patrimonial déclaré.)
Comme pour un statut provincial, un citoyen, un propriétaire ou un organisme peuvent ouvrir un dossier de citation en acheminant une demande écrite au maire avec copies à son conseiller d’arrondissement et au comité consultatif d’urbanisme. Ce dernier (à Montréal, il s’agit du Conseil du patrimoine de Montréal) est mandaté par le comité exécutif pour donner un avis concernant la demande de citation. Notons que, depuis 2012, un règlement municipal de citation peut préciser qu’il vise aussi l’intérieur d’un bâtiment.
La citation municipale d’un immeuble ou d’un site patrimonial oblige le propriétaire à assurer sa préservation. Elle permet à une municipalité d’exercer un contrôle plus serré des travaux envisagés sur ces immeubles et de soutenir leur mise en valeur par de l’aide technique ou financière. Elle n’entraîne pas l’obligation d’établir un plan de conservation, mais un site patrimonial cité doit être identifié au plan d’urbanisme dans une zone à protéger.
Partout au Québec, la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU) régit les plans et règlements d’urbanisme, incluant les règlements de construction, de démolition et d’entretien qui permettent aux municipalités d’exercer un contrôle des modifications sur leur territoire.
Les villes de Montréal et de Québec sont soumises à certaines obligations particulières et possèdent des pouvoirs additionnels conférés par leur Charte. Ces règlements sont encadrés par le plan d’urbanisme, un outil de planification du territoire à long terme, qui concerne autant les secteurs à développer et les équipements à implanter que les éléments patrimoniaux ou naturels à préserver. À Montréal, par exemple, le premier plan d’urbanisme a été adopté en 1992 et mis à jour en 2004. Ce plan vise précisément « la conservation et la mise en valeur du patrimoine bâti et archéologique » (objectif 15). Une carte du plan d’urbanisme identifie les secteurs de valeur patrimoniale (carte 2.6.1). Les demandes de permis pour ceux-ci font l’objet d’un examen particulier par les services municipaux.
Toute municipalité doit se doter de règlements d’urbanisme portant sur le zonage, le lotissement et la construction afin de régir les usages permis, les dimensions et l’aménagement des terrains, et les règles de construction des bâtiments. La municipalité définit elle-même le contenu de ces règlements. Ils peuvent servir à maintenir les immeubles existants et ainsi à préserver le patrimoine. De même, dans son règlement de zonage, une municipalité peut contrôler la plantation et l’abattage d’arbres.
La LAU autorise aussi une municipalité à adopter un règlement pour exiger la présentation et l’approbation de plans relatifs à l’implantation des bâtiments, à l’aménagement des terrains et à l’intégration architecturale, appelés plans d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA). Ce règlement détermine les objectifs et critères d’appréciation des projets, ainsi que le territoire d’application des PIIA (LAU, article 145.15). Un PIIA permet une étude plus fine d’un projet et peut favoriser la prise en compte des éléments patrimoniaux d’un site ou d’un bâtiment existant. À titre d’exemple, les territoires entiers de l’arrondissement d’Outremont et de la ville de Westmount font l’objet de l’exigence d’un PIIA depuis 1992 et 1995 respectivement. Un comité consultatif d’urbanisme effectue l’examen des PIIA avant que le conseil municipal prenne une décision à leur sujet.
La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (articles 148.0.1 à 148.0.26) régit aussi les pouvoirs des municipalités concernant la démolition d’un bâtiment sur leur territoire. Il est important de comprendre le processus menant à l’octroi du permis de démolition, qui est différent de celui visant l’obtention d’un permis de construction. À Montréal, dans l’arrondissement Ville-Marie, par exemple, le règlement de démolition (le règlement CA-24-007) prévoit un processus d’affichage permettant aux citoyens de s’opposer à la démolition devant un comité de démolition décisionnel, mais également un processus d’arbitrage permettant au citoyen insatisfait – demandeur du permis ou citoyen s’étant déjà opposé à la démolition – d’en appeler de la décision du comité de démolition auprès du conseil d’arrondissement ou de ville.
De plus, les municipalités disposent de pouvoirs accrus depuis 2004 pour exiger l’entretien et la réparation des bâtiments vétustes ou délabrés (LAU, article 145.41) – par exemple, le règlement 07-034 de la Ville de Montréal : Règlement sur l’entretien des bâtiments -, en plus des pouvoirs qu’elles possédaient déjà en rapport à des motifs de salubrité des logements – par exemple, le règlement 03-096 de la Ville de Montréal: Règlement sur la salubrité, l’entretien et la sécurité des logements.
Par ailleurs, une grande partie des pouvoirs municipaux en matière de patrimoine découlent d’une modification de la Loi sur les biens culturels de 1985 qui permet aux municipalités de gérer le patrimoine situé sur leur territoire par la citation d’un immeuble patrimonial ou par la constitution d’un site du patrimoine.
En matière de conservation du patrimoine, les municipalités sont souvent dépourvues de ressources professionnelles, financières et techniques. Comme nous le rappelle le cas du couvent Saint-Isidore, monument historique cité par la Ville de Montréal en 1990 et démoli le 6 juin 1996 contre l’avis du Comité consultatif de Montréal sur la protection des biens culturels (CCMPBC), les instances décisionnelles ne sont pas liées par les avis du comité consultatif.
La volonté politique manque. Les droits des propriétaires l’emportent sur l’intérêt collectif. Par ailleurs, l’absence de mesures d’urbanisme et de processus de consultation publique nuit au patrimoine en ne permettant que des interventions à la pièce. Malgré tout, le palier local est celui où le citoyen peut intervenir le plus efficacement, par exemple auprès de son conseiller municipal ou d’arrondissement. Les outils de conservation, les conseillers municipaux ou d’arrondissement, les organismes communautaires et les journaux de quartiers sont des leviers disponibles qui permettent une mobilisation citoyenne.